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Entretien avec Baptiste Giraud sur les conflits sociaux

 

Baptiste Giraud est maître de conférences en science politique à l'Université d'Aix-Marseille 2, spécialiste du syndicalisme, auteur des "Métamorphoses de la grève" (« Problèmes politiques et sociaux », La Documentation française, 2010) et co-auteur notamment de "La lutte continue" (éditions du Croquant, 2008).

SESâme: Comment a évolué la conflictualité sociale en France ?

Baptiste Giraud : On a généralement tendance à penser que le recours à la grève serait devenu le monopole des salariés du public, disposant d’un statut d’emploi protecteur. Il est vrai que ces derniers composent l’essentiel des participants aux conflits du travail les plus visibles, à savoir les actions de grèves et manifestations interprofessionnelles. Les statistiques administratives des grèves, qui ont longtemps constitué le seul indicateur de mesure des conflits du travail disponible, semblaient également attester de la raréfaction des grèves dans le privé. Selon elles, en effet, on recensait au début des années 2000 moins de 300.000 journées individuelles perdues pour fait de grève (JINT), contre plus de deux millions vingt ans plus tôt. Fragilisés par les vicissitudes d’une concurrence économique exacerbée et par la précarisation de leurs conditions d’emplois, les salariés du secteur privé auraient ainsi perdu toute capacité de mobilisation collective. Ils ne seraient plus que les acteurs de « conflits de survie », déclenchés à l’occasion de fermetures d’entreprises, qui font régulièrement la « une » des journaux.

Mise en œuvre au cours des années 1990, l’enquête REPONSE (Relations Professionnelles et Négociations en Entreprise) conduit cependant à remettre en cause ces apparentes évidences. Elle a d’abord permis de montrer que les statistiques administratives des grèves sous-évaluaient de près de moitié le nombre de jours de grève dans le privé. Ces résultats n’invalident certes pas l’idée d’un déclin tendanciel du volume de ces grèves par rapport au niveau particulièrement élevé qu’il a atteint dans les années 1970. Ils suggèrent en revanche qu’on assiste moins à une baisse du nombre de grèves dans le privé qu’à une évolution de leurs formes. En effet, alors que jusque dans les années 1970, les journées d’action interprofessionnelles rythmaient la conflictualité gréviste jusque dans le secteur privé, les grèves y prennent désormais essentiellement la forme de courts arrêts de travail, limités au niveau de l’établissement. Moins volumineuses, ces actions de grève sont donc moins visibles et plus difficiles à mesurer. Par ailleurs, elles ne se limitent pas uniquement à des luttes contre les fermetures d’entreprise. Au contraire, avant la défense de l’emploi, c’est encore la question des salaires et celle des conditions de travail qui constituent les motifs de conflit les plus fréquents. Enfin, l’enquête REPONSE fait ressortir ce que les seules statistiques de grèves tendent à occulter : l’existence de multiples autres formes de conflits sans arrêt de travail (manifestation, pétition, refus d’accomplir des heures supplémentaires…), y compris dans des secteurs de faible tradition syndicale, comme le commerce, où les grèves demeurent rares.

SESâme : Faut-il opposer négociations et conflits sociaux ?

Baptiste Giraud : Il est effectivement habituel d’opposer ces deux termes, et de présenter la France comme LE pays des grèves. Alors que les pays de l’Europe du Nord auraient su privilégier la négociation et faire de la grève une arme d’ultime recours, on resterait en France prisonnier d’un modèle d’action syndicale faisant primer le conflit sur le dialogue social. Il est vrai que l’institutionnalisation de la négociation collective a été particulièrement tardive en France et que le syndicalisme français s’est longtemps nourri de la visée révolutionnaire de la grève générale. Enfin, si les activités de négociation se sont considérablement développées dans les entreprises grâce aux lois Auroux (1982), les règles françaises du droit de grève et de la négociation collective se distinguent encore fortement de celles qui existent par exemple en Allemagne et dans les pays nordiques. Dans ces derniers en effet, les syndicats ne peuvent recourir à la grève qu’au moment de la renégociation des conventions collectives de branche - que la loi impose à intervalle régulier. En France, il n’existe en revanche aucune contrainte légale à négocier pour les employeurs et les syndicats. Mais il n’existe pas non plus, en contrepartie, de limite à l’utilisation du droit de grève, en dehors des préavis que les syndicats doivent déposer dans le secteur public pour avertir de leur intention d’organiser un arrêt de travail.

         Pour autant, l’actualité sociale récente, en Grêce, en Espagne, au Portugal ou encore en Angleterre a montré que la France n’est pas la seule à connaître des mouvements sociaux de grande ampleur. Il n’existe pas non plus UN modèle nordique de relations sociales pacifiées : certaines années, le taux de grève est plus élevé dans certains d’entre eux (Danemark, Finlande) qu’en France. Enfin, il est faux de penser que le maintien de conflits du travail en France résulterait d’un manque de culture syndicale pour la négociation. Au contraire, il ressort de l’enquête REPONSE que c’est précisément dans les établissements où les négociations sont les plus nombreuses que les conflits sont les plus fréquents. Cela peut s’expliquer de deux façons complémentaires. La tenue de négociations peut dépendre du rapport de force que les syndicats sont capables de créer pour contraindre les employeurs à les organiser. A l’inverse, l’organisation de négociations peut inciter les syndicats à mobiliser collectivement les salariés pour tenter d’influencer l’issue des discussions.

Bien sûr, l’institutionnalisation des relations professionnelles a contribué à modifier les contours de la conflictualité au travail. Mais elle n’a pas pour effet, comme cela est trop souvent affirmé, de la faire disparaître. Plutôt que de s’opposer, grèves et négociations tendent en réalité à s’articuler différemment. Dans les pays du Nord, où la négociation collective est très centralisée et la réglementation du droit de grève très contraignante, les grèves tendent à être peu nombreuses, mais larges puisqu’elles sont déclenchées à l’échelle nationale par des syndicats puissants. En France, la décentralisation du système de négociation collective au niveau des entreprises, couplée à l’absence de restriction juridique à l’usage de la grève explique que les grèves soient beaucoup plus nombreuses mais de taille beaucoup plus réduite, puisqu’elles sont le plus souvent circonscrites au niveau des établissements. Ce n’est donc pas tant le niveau des grèves, mais leur fragmentation qui caractérise la France en matière de conflits du travail.

SESâme: Peut-on se contenter d’une approche globale pour comprendre les conflits du travail en France ?

Baptiste Giraud : Il est évidemment possible de repérer des causes structurelles aux grandes tendances de l’évolution de la conflictualité au travail. Les effets conjugués de l’émiettement du tissu productif - généré notamment par la déstructuration des grandes concentrations ouvrières et le développement de la sous-traitance – et de l’essor de la négociation dans les entreprises aident par exemple à comprendre la plus grande segmentation des mouvements de grève et les difficultés croissantes des syndicats à les fédérer dans des actions communes. De même, la précarisation des conditions de travail et d’emploi (développement de l’endettement des ménages, des CDD et de l’intérim, du chômage de masse) alimente chez beaucoup de salariés un sentiment de fragilité et d’insécurité économique qui limite évidemment leur disponibilité à s’engager dans des actions de grève, en raison du coût économique qu’elle implique et de la crainte que peut inspirer la perspective de s’exposer à des représailles patronales.

Cela n’implique pas, comme nous l’avons dit, que les salariés renoncent à exprimer leur mécontentement. Mais l’évolution de la situation du salariat peut aider par exemple à comprendre que soient privilégiés des arrêts de travail de courte durée (donc peu coûteux) ou d’autres formes d’action (manifestation, pétition, rassemblement), encore moins pénalisantes financièrement et d’apparence moins risquées pour leurs participants. Pour autant, une approche plus micro, au niveau des entreprises, reste nécessaire pour saisir la complexité des ressorts de la conflictualité au travail. Elle aide par exemple à comprendre que l’apparition de conflits collectifs dépend très fortement des formes très différentes que prend la représentation syndicale dans les établissements. Dans ceux où les syndicats sont bien implantés et actifs, les conflits auront tendance à être plus fréquents. Dans ceux où les syndicats sont absents et/ou moins actifs, les conflits sont en revanche beaucoup plus rares. Car de l’activité concrète des représentants syndicaux qu’ils fréquentent dans leur entreprise dépend la confiance qu’ils auront dans l’action syndicale pour défendre leurs intérêts professionnels. Etre attentif à la diversité des profils militants des syndicalistes d’entreprise, c’est aussi se donner les moyens de mieux comprendre ce qui peut freiner la capacité des organisations syndicales à rassembler et mobiliser leurs adhérents dans des actions communes à l’échelle (inter)professionnelle.

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