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Entretien avec Laure Bereni

Laure Bereni est sociologue, chargée de recherche au CNRS, spécialiste du genre et des mouvements féministes. Elle est l’auteure, avec S. Chauvin, A. Jaunait et A. Revillard, d’une Introduction aux études sur le genre (de Boeck, 2012, 2ème éd.) | Page professionnelle

 

 

1) Le rôle "maternel" dévolu aux femmes s'explique-t-il par des facteurs biologiques ?

L’idée que le rôle « maternel » dévolu aux femmes serait déterminé par la nature est l’un des préjugés les plus solidement partagés. Après tout, pense-t-on souvent spontanément à l’appui de cette idée, ce sont bien les femmes qui sont enceintes, et non les hommes. Et force est de constater que ce sont les femmes qui assument la grande majorité du travail de soin aux enfants, qu’il s’agisse de leurs propres enfants ou non, qu’elles fassent ce travail gratuitement ou non. L’ordre social viendrait ainsi exprimer et valider l’ordre naturel. Or, si l’on adopte une perspective sociologique sur le monde, on est amené à se méfier de telles évidences « naturelles ». En fait, le lien entre les données biologiques et les rôles sociaux qui incombent aux mères est tout sauf évident. C’est un rôle que les petites filles « apprennent » et « intériorisent » dès l’enfance, en se voyant, par exemple, offrir des jeux en rapport avec leur futur « destin » de mère (poupées, appareils ménagers, matériel de couture, etc.), et en observant le monde qui les entoure (en particulier le rôle qui incombe le plus souvent à leur mère et à d’autres femmes auxquelles elles s’identifient). Pour se convaincre du caractère non « naturel » du rôle maternel, on peut remonter un peu dans le temps. La définition légitime de ce qu’est une « bonne mère » varie selon les époques et les sociétés, et à l’intérieur d’une société donnée, selon les classes sociales. Par exemple, les historiennes de la maternité ont montré qu’aux 17ème et 18ème siècles, la pratique de « mise en nourrice » des très jeunes enfants par leur mère se diffusa d’abord dans les couches aristocratiques et bourgeoises, puis chez les femmes de toutes catégories sociales, surtout dans les villes. Il était tout à fait légitime, pour une mère de milieu aisé comme de milieu populaire, de déléguer à d’autres le travail de soin de ses jeunes enfants. Ce n’est qu’au cours du 18ème siècle qu’une nouvelle norme de la « bonne mère », entièrement dévouée au soin et à l’éducation des enfants, au nom d’un destin naturel, a progressivement vu le jour. Le philosophe Jean-Jacques Rousseau en fut l’un des plus célèbres porte-voix. Cette nouvelle norme morale se renforça au cours du 19ème siècle, et fut en particulier portées par la bourgeoisie : la « bonne mère » devait entièrement se consacrer au bien-être de ses enfants et de son époux, au nom d’une distinction présumée naturelle entre sphère privée (féminine) et sphère publique (masculine). La montée en puissance des idéologies nationalistes, notamment en Europe et en Amérique au 19ème et dans la première moitié du 20ème, renforça cette idéologie : la maternité devint une fonction sociale, un devoir que les femmes doivent à la patrie, célébré et protégé par l’Etat. C’est dans ce contexte que furent prises les premières mesures de la « politique familiale » française (congés maternité dès 1913, allocations familiales dans les années 1930…). Après la Seconde guerre mondiale, non sans une certaine continuité avec le régime de Vichy qui avait glorifié les fonctions maternelles au nom de « l’éternel féminin », l’Etat français encouragea un modèle de maternité domestique, à travers la mise en place de « l’allocation de salaire unique » (incitant les mères à se retirer du marché du travail). Dans les années 1970, les mouvements féministes ont contesté l’idée d’un « destin » maternel des femmes : comme l’indique le célèbre slogan « un enfant, si je veux, quand je veux », ces mouvements se sont battus pour que les femmes puissent choisir d’être mères (libéralisation de la contraception en 1967, de l’avortement en 1975), et pour que les rôles parentaux soient mieux partagés entre les femmes et les hommes. Depuis lors, sous l’effet des politiques familiales plus soucieuses de l’égalité des sexes (notamment par la mise en place de systèmes publics de garde des jeunes enfants), la norme de la « mère active » (sur le marché du travail) s’est généralisée en France, remettant en cause le modèle antérieur qui opposait maternité et activité salariée. Aujourd’hui encore, les normes sociales de la maternité varient selon les pays : mettre son enfant de trois mois en crèche et reprendre une activité salariée à temps plein, acte banal et légitime pour une mère en France, est très mal vu en Allemagne, où de telles structures collectives sont rares, et où la pression sociale est forte pour que les mères se consacrent exclusivement à leurs enfant pendant les premières années de leur vie. Aujourd’hui, c’est tout autant au nom de la « nature » que de « l’intérêt de l’enfant » que la norme d’un investissement maternel total et exclusif se trouve défendue.

2) En quoi la division des rôles au sein de la famille a-t-elle des implications plus larges ?

Les sociologues ont de longue date étudié la division sexuée des rôles au sein de la famille. Talcott Parsons avait, dans les années 1950, théorisé cette division sexuée des rôles en termes de complémentarité : aux hommes les fonctions « instrumentales » (relations entre la famille et le reste de la société), aux femmes les fonctions « expressives » (intégration et maintien des valeurs de la famille). Jusque dans les années 1970, la plupart de ces études étaient peu critiques de cette division, et la considéraient en dernier ressort, comme naturelle ou, chez Parsons, comme « fonctionnelle » (permettant le bon fonctionnement du système social). Dans les années 1970, de nouvelles recherches inspirées des perspectives féministes ont changé le regard sur cette division des rôles : celle-ci a été pensée comme le fruit d’une construction sociale, et comme la manifestation d’une inégalité structurelle entre les hommes et les femmes. Le rôle dévolu aux femmes dans le cadre de la famille a ainsi été requalifié en « travail » (non-rémunéré), alors qu’il était de longue date perçu comme un « destin » ou une « vocation ». Les enquêtes emploi du temps de l’INSEE ont permis de chiffrer l’inégalité entre les sexes dans la répartition du travail domestique : les femmes effectuent aujourd’hui encore, en moyenne, les deux tiers de ce travail.

Cette inégalité dans la répartition du travail domestique a des conséquences bien au-delà de la sphère familiale. Les fonctions assignées aux femmes dans la sphère domestique contribuent à les maintenir dans une position défavorable sur le marché du travail. C’est sur les femmes que pèse l’impératif de « conciliation » de la vie professionnelle et familiale, ce qui les conduit le cas échéant à revoir à la baisse leurs ambitions de carrière, réduire leur investissement professionnel, ou interrompre leur carrière. Les hommes, eux, ne sont guère soumis à cette injonction de « conciliation ». Les sociologues ont même mis en évidence le modèle du « père qui gagne » : le statut et le salaire des pères de famille sont plus favorables que ceux des hommes qui n’ont pas d’enfant. Cela n’est possible que parce que les pères délèguent à leur conjointe la majorité du travail domestique. La charge que représente le travail domestique est moins forte pour les femmes des catégories sociales élevées, puisqu’elles peuvent déléguer, moyennant finance, ce travail à d’autres femmes. Mais toutes les études montrent que la charge mentale liée à la gestion de la vie domestique continue de peser en premier lieu sur ces femmes. Enfin, il faut souligner que nombre d’emplois typiquement « féminins » (aides-soignantes et infirmières, nounous, éducatrices, assistantes sociales, maîtresses d’école…) prolongent les rôles socialement attribués aux femmes dans la famille. C’est ce qu’on appelle les emplois du « care ». Ces emplois, parce qu’ils sont vus comme prolongeant des qualités et une vocation naturelle pour le soin et le souci des autres, sont globalement moins valorisés symboliquement et moins rétribués que les emplois typiquement masculin, à un même niveau de qualification et de pénibilité.

3) Où en est l'égalité hommes-femmes aujourd'hui ?

D’un côté, on peut dire que l’égalité femmes-hommes a progressé à de nombreux égards depuis plusieurs décennies, sous l’effet notamment des mobilisations féministes, qui furent particulièrement visibles dans les années 1970 (manifestations de masse…) et se sont maintenues depuis lors, sous des formes plus discrètes. Plusieurs « acquis » de l’égalité femmes-hommes ont été obtenus au cours des années 1960-1970. C’est à cette période que l’inégalité juridique entre mari et femme dans le cadre du mariage a été abrogée. Depuis 1965, les femmes peuvent ouvrir un compte en banque et exercer une profession sans l’autorisation de leur mari. Depuis 1970, les mères sont devenues les égales des pères en matière d’autorité parentale. Les femmes ont accédé à la contraception en 1967, à « l’interruption volontaire de grossesse » (IVG) en 1975 et au remboursement de cet acte médical en 1982. Dans les années 1970, les barrières qui existaient à l’entrée de certaines formations d’élite (comme l’Ecole Polytechnique) et professions sont tombées. La mixité dans l’enseignement s’est généralisée à partir des années 1960. Le viol a été plus sévèrement réprimé à partir de 1978 et condamné y compris dans le cadre du mariage depuis 1980. Ces réformes juridiques vers une plus grande égalité des droits entre femmes et hommes ont accompagné (et sans doute facilité) un certain nombre de transformations sociales vers une plus grande égalité. Depuis les années 1970, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à obtenir le bac, et à faire des études supérieures. Elles représentent aujourd’hui 47,5% de la population active occupée. Cette présence massive sur le marché du travail est rendue possible par une politique de garde d’enfant en partie prise en charge par l’Etat.

Mais ces évolutions globales vers plus d’égalité cachent des zones d’ombre et sont loin d’être un processus continu et irréversible. Depuis les années 1990, la réalisation effective du droit à l’avortement est menacée par la raréfaction des centres hospitaliers qui prennent en charge ce type d’acte. Nombre de jeunes femmes n’accèdent pas à l’information sur la santé reproductive et la contraception, malgré le travail de sensibilisation opéré par les centres de Planning familial sur l’ensemble du territoire. En dépit de la féminisation du marché du travail et de l’augmentation de leurs qualifications, les femmes se heurtent toujours à un « plafond de verre » qui les empêche d’accéder à égalité aux fonctions de pouvoir. Une partie de ce phénomène est lié à l’inégalité dans la répartition du travail domestique entre les hommes et les femmes. La loi sur la parité, qui impose depuis 2000 aux partis politiques de 50% de femmes sur leurs listes de candidats, et plus récemment (2011) la loi imposant des quotas progressifs dans la composition des conseils d’administration des entreprises ont été adoptées, sous la pression des mobilisations féministes, pour atténuer ce phénomène. Malgré ces mesures volontaristes, les femmes représentent seulement 27% des députés de l’Assemblée nationale en 2012. Autre zone d’ombre de l’égalité, en France aujourd’hui : les violences envers les femmes. En France une femme meure tous les trois jours sous les coups de son compagnon. Dans l’espace public, à l’université et sur le lieu de travail, les comportements sexistes et de harcèlement sexuel ne sont à ce jour que très peu réprimés, sous couvert d’un discours sur la « séduction à la française ».

Au final, le bilan de l’égalité femmes-hommes est donc en demi-teinte.

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