Objectifs :
- Mettre en évidence que les échanges économiques peuvent prendre 3 formes : l’échange, la réciprocité (don / contredon) et la redistribution
- Montrer que le don et l’échange marchand ont des conséquences différentes sur le lien social
Document 1 : Le don, une forme d’échange non marchand
Dans les économies et dans les droits qui ont précédé les nôtres, on ne constate jamais de simples échanges de biens, de richesses et de produits au cours d’un marché passé entre les individus. D’abord, ce ne sont pas des individus, ce sont des collectivités qui s’obligent mutuellement, échangent et contractent (…) : clans, tribus, familles, qui s’affrontent et s’opposent soit en groupes se faisant face sur le terrain, soit par l’intermédiaire de leurs chefs, soit de ces deux façons à la fois.
De plus, ce qu’ils s’échangent, ce n’est pas exclusivement des biens et des richesses (…) des choses utiles économiquement. Ce sont avant tout des politesses, des festins, des rites, des services militaires, des femmes, des enfants, des danses, des fêtes, des foires dont le marché n’est qu’un des moments et où la circulation des richesses n’est qu’un des termes d’un contrat beaucoup plus général et beaucoup plus permanent. Enfin, ces prestations et contre-prestations s’engagent sous une forme plutôt volontaire, par des présents, des cadeaux, bien qu’elles soient au fond rigoureusement obligatoires. (…)
[le potlatch est une forme particulière de don qui était pratiqué par les indiens de la côte Nord-Ouest de l’Amérique ; les chefs de clans s’échangent de la nourriture et des biens précieux dans une sorte de compétition où sera réputé gagnant celui qui aura été le plus généreux]
L’ obligation de donner est l’essence du potlatch. Un chef (…) ne conserve son autorité (…) qu’en dépensant sa fortune, en la distribuant, en humiliant les autres (…) L’obligation de recevoir ne contraint pas moins. On n’a pas le droit de refuser un don. Agir ainsi, c’est manifester que l’on craint d’avoir à rendre (…) L’obligation de rendre est tout le potlatch (…) on perd la « face » à jamais si on ne rend pas, ou si on ne détruit pas des valeurs équivalentes (…)
Une partie considérable de notre morale et de notre vie elle-même [se situe] toujours dans cette atmosphère du don, de l’obligation et de la liberté mêlés. Le don non rendu rend encore inférieur celui qui l’a accepté (…) L’invitation doit être rendue (…) Ainsi telle famille villageoise de notre enfance, en Lorraine, qui se restreignait à la vie la plus modeste en temps courant, se ruinait pour ses hôtes à l’occasion de fêtes patronales, de mariage, de communion (…) Il faut être « grand seigneur » dans ces occasions.
Source originale: Marcel Mauss, "Essai sur le don", 1923
Source numérique: Les Classiques des sciences sociales
Questions
1) Expliquer : En quoi le don se rapproche t-il des échanges marchands ?
2) Distinguer : En quoi est-il radicalement différent ?
3) Analyser : A partir de l’exemple des cadeaux que l’on se fait entre amis : dans quels cas en fait-on ? Qu’est-ce qui guide le choix du cadeau ?
4) Distinguer : Recensez les multiples manifestations des échanges sous forme de don, aujourd’hui. Y retrouve-t-on toujours les trois « obligations » décrites par Marcel Mauss ?
Document 2 - Le Parrain (The Godfather), Francis Ford Coppola (1972)
Transcription des dialogues de la première scène :
Bonasera : L’Amérique, elle a fait ma fortune. J’ai élevé ma fille comme une véritable Américaine. Je lui ai dit : « tu es libre », mais, surtout, tu ne dois jamais déshonorer ta famille. Elle avait un petit flirt, pas un Italien. Souvent ils allaient au cinéma. Elle sortait très tard ; sans que je proteste. Il y a deux mois de ça, ils font un tour en voiture avec un ami de son flirt. Ils l’ont obligé boire le whisky.
Et alors, ils ont essayé d’abuser de ma fille. Elle a résisté. Elle a sauvé son honneur. Alors ils l’ont battue… Comme un animal ! Quand je l’ai vue dans cet hôpital, son nez il était brisé, et sa mâchoire fracturée. Ca tenait avec du fil du fer. Elle n’arrivait même pas à pleurer tant elle avait mal. Mais moi j’ai pleuré. Pourquoi je pleurais comme ça ? Elle était la lumière de ma vie. Une belle fille gracieuse. Et elle ne sera jamais plus belle, maintenant. (sanglots) Scusi !
Alors, je suis allé à la police, comme un vrai Américain. Ils ont fait un procès pour ces deux chiens. Le juge, il les condamne d’abord à trois ans de prison ; et il leur met ça avec sursis ! Ils sont partis aussitôt ; Ils sont repartis libres, immédiatement ! J’ai regardé la cour, comme un pauvre idiot ; et ces deux bandits, ils m’ont souri, à moi ! Alors j’ai dit à ma femme : « pour la justice, il faut aller voir Don Corleone ».
Don Corleone : Pourquoi vous n’êtes pas venu me voir tout de suite, au lieu d’aller à la police ?
B : Qu’est-ce que vous voulez de moi ? Demandez-moi tout, mais donnez-moi ce que je vous demande.
DC : Qu’est-ce que vous voulez ?
(Bonasera lui chuchote quelque chose à l’oreille)
DC : Non. Pas question !
B : Je ferai tout ce que vous me demandez.
DC : On se connaît tous les deux depuis des années, mais c’est la première fois que vous venez me demander un conseil ou un coup de pouce. Je ne sais même plus à quand remonte la dernière tasse de café que je suis venu boire chez vous. Pourtant ma femme est la marraine de votre seul enfant. Alors, en toute franchise, vous avez repoussé mon amitié. Parce que… vous avez trop peur d’être mon débiteur.
B : Je voulais pas avoir d’ennuis
DC : Oui, je vois. Vous aviez le paradis, en Amérique. Une affaire qui tournait, une bonne vie tranquille, la police et les tribunaux pour vous protéger. Vous n’aviez donc aucun besoin d’un ami. Aujourd’hui, vous venez pleurer chez moi en disant : « Don Corleone, rendez-moi justice ! » Mais est-ce que je vois un peu de respect ? Est-ce que je sens un peu d’amitié ? Est-ce qu’il vous vient à l’idée de m’appeler parrain ? Au contraire vous tombez sur moi juste le jour où ma fille Connie se marie et vous osez m’offrir de me payer… pour un meurtre.
B : Non : pour un acte de justice !
DC : Ce ne serait pas justice : votre fille est toujours vivante.
B : Je veux les voir souffrir autant qu’elle souffre. Combien vous me demandez ?
DC : Bonasera ! Bonasera ! Qu’est-ce que je vous ai donc fait pour que vous me parliez avec si peu de respect ? Vous seriez venu à moi comme à un ami, alors les voyous qui ont touché à votre fille seraient déjà en train de souffrir. Et si par hasard un homme comme vous avait à se plaindre d’un ennemi, alors son ennemi deviendrait le mien. Et il aurait très peur de vous !
B : Soyez mon ami… parrain !
DC : Bon ! Un jour – mais ce jour ne viendra peut-être pas – je vous demanderai de faire quelque chose pour moi. Mais en attendant, je vous OFFRE ce service, en l’honneur du mariage de ma fille !
B : Grazie ! Grazie ! (il sort)
DC : Prego !
(s’adressant à son consigliere)
Confie ça à Clemenza ! Qu’il prenne des types solides, hein, pas des nerveux qui perdraient leur sang froid. Après tout, on n’est pas des tueurs, hein, malgré ce que ce croque-mort s’imagine !
Questions :
1. Qui est Don Corleone ? Pourquoi Bonasera s’adresse-t-il à lui ?
2. Que nous apprend cette scène sur les caractéristiques socio-économiques de Bonasera ?
3. Pourquoi Don Corleone refuse-t-il tout d’abord d’aider Bonasera ?
4. Pourquoi Don Corleone se sent-il insulté lorsque Bonasera propose de le payer ?
5. Don Corleone accepte finalement d’« offrir » le service demandé. Qu’est-ce qui le fait changer d’avis ? Ce don est-il réellement désintéressé ? Quelles en sont les contreparties ?
6. Rapprochez cet exemple du don tel qu’il est analysé par Marcel Mauss.
Document 3 - Le Chat invite
© Editions Casterman S.A./ Philippe Geluck, « "Et vous, Chat va ?", 2003.
Questions :
1) Analyser : Comment interprétez-vous les 50 euros que propose Mme chat ?
2) Caractériser : Comment caractériser une attitude comme celle du chat ?
3) Discuter : Que pensez-vous du raisonnement du chat ?
Document 4
Plusieurs services qui empruntaient auparavant les circuits des réseaux de charité ou des liens personnels entre proches sont maintenant accessibles par le biais de l'État et de son appareil de redistribution. Certains auteurs, et non des moindres, vont même jusqu'à considérer que cet appareil peut remplacer le don dans la société moderne, les formes traditionnelles de don étant de plus en plus résiduelles. À commencer par Mauss lui-même qui, tout en reconnaissant l'importance du don dans toute société, considère que dans la société occidentale, le don prend surtout la forme de la redistribution étatique, que la sécurité sociale est en quelque sorte le prolongement moderne du don archaïque, et que les autres manifestations de don, hors de ce contexte, sont destinées à être remplacées par des formes mixtes de circulation où le don traditionnel sera imbriqué d'une façon ou d'une autre dans l'action de l'État. La redistribution étatique représenterait alors la forme achevée et spécifique que prend le don aujourd'hui, et également son avenir. L'impôt remplace le don. C'est d'ailleurs ce que nous pensons tous lorsque, sollicités par un organisme pour une cause, nous répondons : « Vous ne croyez pas qu'avec mes impôts je donne déjà assez ! »
Jacques T. Godbout, en collaboration avec Alain Caillé, "L'esprit du don", 1992, Montréal-Paris, Éditions La Découverte
Questions :
1. Expliquer : En quoi peut-on dire que l’impôt remplace le don ?
2. Comparer : Quelles différences peut-on faire entre l’impôt et le don ?
Synthèse :
1. Synthétiser : A l’aide des documents 1 à 4, complétez le tableau suivant :
|
caractéristiques |
exemples |
Sphère du marché
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Sphère de l’Etat
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Sphère privée
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2. Expliquer : Montrez que la fourniture de services de santé peut relever à la fois de la « réciprocité », de la redistribution et de l’échange marchand.
3. Illustrer : Cherchez d’autres exemples de fournitures de biens ou de services relevant de ces trois modes d’organisation.
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