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    Entretien avec Thomas Amossé et Michel Forsé

    Thomas Amossé est sociologue, Administrateur de l’Insee, chercheur au sein de l’UR "Travailleurs et Organisations" au Cee (Centre d'études de l'emploi) l Page professionnelle

    Michel Forsé est sociologue, Directeur de recherche, Directeur adjoint du CMH (Centre Maurice Halbwachs), CNRS l Page professionnelle



    1) Quel est l'intérêt de la notion de groupe social pour comprendre les comportements individuels ?

     

    Thomas Amossé : L’intérêt des groupes sociaux pour comprendre les situations individuelles peut être justifié théoriquement et démontré empiriquement. D’un point de vue théorique, cela renvoie à un des principes fondateurs de la sociologie qui vise à identifier des facteurs d’explication d’ordre collectif ou social aux différences observées au niveau individuel, contrairement par exemple à une autre science sociale, la psychologie, qui investigue l’état mental des individus. La principale justification de l’importance des groupes sociaux se situe toutefois au-delà de cette posture de principe, qui admet d’ailleurs des variantes importantes selon que l’on accorde plus (individualisme méthodologique) ou moins (holisme) d’importance à l’individu par rapport au groupe. Elle est empirique, ce qui renvoie à un des objectifs premiers de la nomenclature socioprofessionnelle (dite des PCS depuis 1982, et auparavant des CSP, depuis 1954), qui vise à décrire, représenter et comprendre les différences existantes dans la société. Cet objectif est toujours largement atteint puisque la pertinence empirique de la PCS est très régulièrement réaffirmée, que ce soit en terme de répartition géographique de la population[1], de pratiques culturelles[2], de mortalité[3], de patrimoine[4], de comportement matrimonial, plus largement de participation à la société et de représentation de soi[5].

     

    Michel Forsé : Les opinions, les attitudes, les pratiques ou les comportements individuels ne sont pas strictement individuels. Aucun individu n’est une île au milieu d’un no man’s land. La sociologie est justement une discipline qui s’est formée sur la base de cette conviction que l’individuel est (aussi) social. C’est tout le sens, par exemple, de ce qu’Emile Durkheim a essayé de montrer dans sa célèbre analyse des suicides – actes qui peuvent par excellence paraître personnels mais qui ont en réalité une dimension sociale. Or ce social est structuré notamment selon des groupes (ou cercles pour parler comme Simmel) auxquels l’individu appartient ou se réfère ; ou encore qui peuvent être primaires (ceux où il y a place pour une certaine interconnaissance comme une famille) ou secondaires (beaucoup plus larges, où cette interconnaissance n’est plus possible et où les liens sont plus formels). Quoi qu’il en soit, au sein de ces groupes, les individus construisent des normes qui font sens pour eux, c’est-à-dire qu’ils ont des raisons d’endosser ou de faire évoluer. Les comportements sont alors à mettre en rapport avec ces normes, qu’ils s’y conforment ou qu’ils s’en écartent. C’est de cette manière que les groupes sociaux, au travers des normes qui y ont cours, influencent les comportements individuels. Mais ils ne les déterminent jamais. Pour revenir aux termes utilisés dans votre question, cela signifie qu’en distinguant des groupes sociaux, on se met en mesure d’expliquer les régularités que suivent des comportements individuels. En retour, je ne crois pas que cela suffise à comprendre ces comportements. Pour y parvenir, il faut s’interroger sur les raisons qu’ont les acteurs d’agir de telle ou telle façon. Bien sûr, il n’est pas question de réduire cette rationalité à son aspect instrumental (i.e. adopter les meilleurs moyens d’atteindre un objectif que l’on s’est fixé). Sans nier que l’on puisse avoir recours à ce type de raison dans telle ou telle circonstance, je pense, à la suite de beaucoup d’autres, que la rationalité à l’œuvre est en réalité beaucoup plus large. Les raisons qu’ont les acteurs d’adopter un comportement ou une opinion cherchent d’abord à être solides c’est-à-dire convaincantes pour soi-même comme pour un autrui quelconque. On parle à cet égard du raisonnable et il est bien plus fondamental que le rationnel au sens étroit.

     

     

    2) Pour mieux « dessiner la société » (la décrire et la comprendre), faut-il préférer désormais les réseaux sociaux aux classes sociales ?

     

    Thomas Amossé : Je ne le pense pas. Les effets de réseaux (plus ou moins médiés par des institutions, corps intermédiaires ou groupes sociaux) ont certainement été renforcés par les technologies de communication les plus récentes. Mais ils ont toujours existé, que ce soit dans le domaine professionnel ou de l’entraide quotidienne. Et cela n’empêche en rien les déterminants structurels liés aux positions socio-économiques d’exercer un effet fort sur les situations individuelles. Le revenu, le diplôme, la situation professionnelle sont des facteurs clés de description des différences, qui ne renvoient pas nécessairement à des réseaux. Sans doute faut-il aujourd’hui comprendre les conséquences du développement des réseaux, mais cela ne me semble pas signifier à court, ni même à moyen terme la fin des classes sociales ou des groupes socioprofessionnels qui leur donnent corps. Ces deux manières de représenter, ou plus exactement d’analyser, la société sont de fait complémentaires.

     

    Michel Forsé : Opposer les deux ne me semble guère fécond. Des études classiques de réseaux, comme celle de Barnes, n’excluent d’ailleurs pas la notion de classe. Il est cependant essentiel de bien préciser ce que l’on entend par classe. La définition marxiste n’est pas la définition wébérienne, pour ne citer que ces deux théories. En tous cas, une analyse empirique de réseaux peut parfaitement se conjuguer avec une approche en termes de classes, par exemple en se demandant si, étant donné un découpage en classes sociales (selon une théorie précise donc), la description des réseaux effectifs lui correspond ou non sur un terrain d’enquête. Prenons un exemple de nature différente mais qui montre qu’il est souvent préférable de chausser les lunettes de la complémentarité. Dans une entreprise, il y a un organigramme officiel. Une enquête sur les réseaux au sein de cette entreprise fait toujours apparaître que les relations de conseil, de pouvoir, d’amitié, etc., ne suivent pas les lignes de cet organigramme officiel. Faut-il en conclure que celui-ci n’est qu’une chimère ? Sûrement pas. En revanche, il est clair qu’il n’est pas suffisant pour décrire et comprendre les relations effectives. De même, je pense que les approches en termes de classes et de réseaux peuvent être bien davantage complémentaires qu’exclusives. Mais il est clair que cela dépend beaucoup du statut que l’on confère aux classes sociales. Si l’on pense qu’elles ont une réalité ontologique indépendamment des relations entre acteurs, la complémentarité va être difficile. Si l’on en fait au contraire des instruments qui permettent de nommer efficacement des regroupements (qui font sens pour une théorie précise, comme on l’a dit), comme cela n’exclut pas que des relations entre acteurs y correspondent, les deux approches peuvent s’enrichir mutuellement. Il en va finalement ici comme dans le domaine des théories du capital. A côté de l’approche standard et limitée à ses aspects matériels, on a mis l’accent plus récemment sur d’autres dimensions comme le capital humain ou social (qui tient justement à l’aspect relationnel). On peut vouloir y trouver une incompatibilité avec l’approche strictement économique, mais le plus souvent on pense plutôt qu’en s’élargissant la théorie du capital s’enrichit.

     

     

    3) La nomenclature française des P.C.S. peut-elle garder de sa pertinence si le sentiment d'appartenance à une classe sociale diminue en France ?

     

    Thomas Amossé : Oui, car il faut distinguer, en reprenant un vocabulaire marxiste, classes en soi et classes pour soi : les premières renvoient aux différences de situations objectives (de revenu, de diplôme, de conditions de travail et de vie, de carrière future, etc.) des individus selon qu’ils appartiennent à telle ou telle classe, à tel ou tel groupe ; les classes pour soi sont, de façon schématique, les constructions politiques auxquelles parviennent les groupes ou classes constitués dans leur lutte. Avoir un fort sentiment d’appartenance à une classe sociale, comme les cadres sur la période récente et les ouvriers il y a trente ou quarante ans, peut être le reflet d’un groupe qui a conscience de sa position, qui est une classe « pour elle-même ». Cela ne signifie pas nécessairement qu’il y ait un fondement objectif à ce sentiment, c’est-à-dire qu’aux classes pour soi correspondent toujours des classes en soi. Et à l’inverse, partager des conditions de vie et de travail ne se traduit pas nécessairement par un sentiment d’appartenir à une classe sociale, ce que montre la situation des non qualifiés[6].

     

    En écho à cette distinction, convient-il sans doute, s’agissant de la nomenclature des PCS et du modèle des classes sociales, de distinguer les notions de légitimité et de pertinence. Les outils statistiques contribuent à représenter l’état du monde. Ils suivent pour cela des schémas ou modèles de représentation, et leur donnent corps en retour. Les légitimités et pertinences croisées des outils et schémas se répondent. Ce que mettent en évidence l’histoire récente de la nomenclature des catégories socioprofessionnelles et l’évolution du modèle des classes sociales, c’est que la pertinence empirique de la première ne suffit pas à la rendre indiscutable alors que décline le second. Dans un monde en mouvement et où la manière dont la société se représente elle-même a fortement évolué, il faut de l’énergie sociale et du travail politique pour qu’un outil statistique demeure légitime. Ce travail a certainement manqué un temps s’agissant de la PCS, mais la réalité résiste et les différences empiriques mises en évidence par la nomenclature sont demeurées fortes. Ces éléments invitent, tout en restant attentifs aux évolutions qui affectent la société (nouvelles lignes de clivage, développement de formes d’agrégation réticulaire, etc.) à croire en un avenir possible d’un mode de représentation statistique qui se situe dans la continuité de l’actuelle PCS, qui apporte encore tant à la compréhension de la société[7].

     

    Michel Forsé : Comme précédemment, les deux ne s’opposent pas et sont d’ordre différent. La nomenclature française des PCS est un regroupement d’individus selon leur profession (pas seulement, mais principalement pour faire bref). On peut d’ailleurs se demander si elle identifie vraiment des classes au sens d’un Weber, d’un Marx ou d’autres. Le sentiment d’appartenance de classe est comme son nom l’indique un sentiment, une opinion. D’un côté, on essaye de construire des catégories sociales sous l’angle « objectif » de la similitude de positions professionnelles, de l’autre on s’attache, sous un angle subjectif, à évaluer le degré auquel les gens pensent relever de ces catégories. Or les deux ne vont pas forcément de concert. Par exemple, même si le sentiment d’appartenance à la classe ouvrière diminue, on peut toujours former la catégorie sociale des ouvriers qui n’en continuent pas moins d’avoir en commun un certain nombre de caractéristiques sociales ou économiques. Il s’avère seulement que ces caractéristiques ne suffisent plus (ou suffisent moins) pour que ceux qui les partagent en déduisent qu’ils appartiennent à une même classe. Seule une théorie qui lierait de manière absolue et nécessaire classe en soi et classe pour soi est invalidée. Au contraire, si l’on admet que les deux peuvent on non se correspondre empiriquement, il n’y a guère de problème. Et évidemment, ceci est d’autant plus simple à réaliser que l’on adopte une approche nominaliste plutôt que réaliste des classes sociales.

     

     

    Eléments de bibliographie

     

    Amossé T., 2012 (à paraître), « Catégories socioprofessionnelles : quand la réalité résiste ! Après le crépuscule, une aube nouvelle ? », Revue Française de Socio-économie.

    Amossé T., Chardon O., 2006, « Les travailleurs non qualifiés: une nouvelle classe sociale? », Économie et statistique, no. 393-394, pp. 203-38.

    Cordier M., Houdré C., Rougerie C., 2006, « Les inégalités de patrimoine des ménages entre 1992 et 2004 », Les revenus et le patrimoine des ménages, Insee.

    Coulangeon P., 2011, « Le privilège culturel des cadres » in Bouffartigue P., Gadea C. et Pochic S. (dir.), Cadres, classes moyennes : vers l'éclatement, Armand Colin, p.187-201.

    Maurin E., 2004, Le ghetto français. Enquête sur le séparatisme social, éditions du Seuil.

    Monteil C., Robert-Bobée I., 2005, « Les différences sociales de mortalité : en augmentation chez les hommes, stables chez les femmes », Insee Première, n°1025.

    Préteceille E., 2006, « La ségrégation sociale a-t-elle augmenté ? La métropole parisienne entre polarisation et mixité », Sociétés Contemporaines, n° 62, p. 69-93.

     



    [1] Maurin, 2004 ; Préteceille, 2006

    [2] Coulangeon, 2011

    [3] Monteil, Robert-Bobée, 2005

    [4] Cordier, Houdré, Rougerie, 2006

    [5] Amossé, Chardon, 2006

    [6] Amossé, Chardon, 2006

    [7] Amossé, 2012

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