1. Le corps, une simple question biologique ?
A première vue, rien n’appelle moins une approche sociologique que l’étude du corps. La biologie ou la médecine occidentale nous apprennent que le corps est un amas de cellules, de tissus et d’organes, savamment organisés par une mécanique naturelle et régis par les lois de la génétique. Pourtant, les questions posées par l’étude du corps humain ne se réduisent pas à la froide étude anatomique. Les formes et les fonctions corporelles dépendent de la nourriture ingérée, de l’exercice physique, de la répétition de gestes… Elles interagissent surtout avec un environnement qui les façonne différemment d’une culture à une autre.
En effet, « le corps est le premier et le plus naturel instrument de l’homme » (Marcel Mauss) ; et il existe une infinité de façons différentes de se servir d’un instrument, sans que l’une soit nécessairement meilleure qu’une autre. Les techniques de corps désignent ces façons différentes d’utiliser son corps pour accomplir des fonctions biologiques élémentaires comme se nourrir, dormir, marcher (Activité 1 – doc 1 et 2). L’anthropologie nous initie ainsi au relativisme culturel, qui consiste à ne pas ériger ses propres normes et valeurs en critères de jugement des croyances, des usages et des activités d’autres cultures. Par exemple, les pratiques alimentaires sont caractérisées par une très forte diversité : manger du serpent en Amérique centrale, des insectes en Asie ou des escargots en France, manger avec sa main en Inde, avec des baguettes en Chine ou avec des couverts en Europe, sont les conséquences d’une éducation et d’une transmission dans des ensembles culturels différents.
Cette influence de la culture sur le corps s’exprime aussi à l’intérieur d’une société. Chaque groupe social porte une vision et un usage du corps différents : les postures corporelles diffèrent selon les groupes d’âge et le lieu de vie (Activité 1 – doc 4) ; la pratique d’un métier manuel forme, déforme et informe le physique d’un travailleur ; les actifs diplômés du tertiaire usent davantage leurs yeux sur des livres ou des écrans d’ordinateurs ; les milieux ouvriers valorisent les physiques solides et les repas avec viande, quand les cadres introduisent les produits « bio » ou végétariens… Les exemples ne manquent pas également dans la pratique sportive, comme la boxe, qui en transmettant une stricte hygiène du corps, véhicule également des valeurs centrées sur l’honneur, l’abnégation, le goût de l’effort et le dépassement de soi (activité 1 – doc 3).
Le corps n’est pas qu’une donnée naturelle, incapable de changements ou d’adaptations ; c’est au contraire une enveloppe plastique, modulable, en permanence influencée par le milieu de vie. Or, cet environnement est social, soumis à des règles, à des principes, à des échanges, en somme à des manières d’être, de vivre, de penser, de sentir. Le corps est ainsi façonné par la culture et révèle une appartenance à un groupe social, exprime des valeurs et respecte des normes, qui varient d’une société à une autre. Le corps exprime une identité culturelle, profondément intériorisée par les individus. Le poète Paul Valéry ne disait pas autre chose quand il écrivait que « la peau », c’est-à-dire la surface et l’apparence, « est ce qu’il y a de profond en nous ».
2. Comment se fabriquent les filles et les garçons ?
Le corps est aussi un sexe. En cela, il introduit une division tranchée de l’espèce humaine en deux catégories, les femmes et les hommes. On a tendance à les opposer et à naturaliser leurs différences, un peu comme si femmes et hommes venaient de deux planètes que tout éloigne. Les diverses productions artistiques et culturelles se font l’écho de cette dichotomie sexuelle (Activité 3 – doc 1) : les femmes seraient naturellement douces, coquettes ou fragiles ; les hommes seraient naturellement aventureux, colériques ou séducteurs ; ou comme le disait Musset dans On ne badine pas avec l’amour, « tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ».
Pourtant l’anthropologie montre que le comportement que l’on prête volontiers aux deux sexes n’est pas toujours le même d’une culture à une autre (activité 2 – doc 1). Il n’y a donc rien de naturel dans le comportement des femmes et des hommes. Tout comme le corps est façonné par des influences sociales, les caractères masculins et féminins sont eux aussi construits par l’environnement culturel. Le jeu d’opposition commence dès la naissance, avec la manière dont les parents parlent au nouveau-né et le manipulent différemment selon qu’il est une fille ou un garçon. Il se poursuit pendant l’enfance, avec les jouets reproduisant des activités domestiques pour les filles, avec les vêtements roses et bleus, avec les activités proposées à chaque sexe (comme la gymnastique ou la danse pour les filles, le football ou le judo pour les garçons). La socialisation primaire est ainsi très largement différenciée en fonction du sexe (activité 2 – doc 2).
Le processus de construction des personnalités opposées des filles et des garçons ne s’arrête pas à l’enfance. Il se prolonge tout au long de la vie : à l’école, avec des stéréotypes de genre transmis dans et en dehors de la classe, sur les filles travailleuses, mais limitées, et les garçons doués, mais paresseux ; au sein des groupes de pairs, qui excluent ceux dont les comportements sont jugés déviants, c’est-à-dire anormaux ; au contact des médias, qui offrent des modèles d’identification aux adolescents extrêmement genrés (activité 2 – doc 3). La socialisation secondaire renforce la séparation des filles et des garçons, puis des femmes et des hommes, assurant ainsi la transmission de cette vision d’un monde genré à l’extrême.
Le processus de socialisation est au final le fait d’une pluralité d’instances : famille, pairs, médias, religion, école, etc. Cette pluralité n’implique ainsi aucun déterminisme dès lors que chacun d’entre nous peut être exposé à des principes de socialisation potentiellement contradictoires.
La socialisation différenciée des filles et des garçons débouche logiquement sur des inégalités à l’âge adulte. Celles-ci se diffusent dans plusieurs domaines (les études supérieures, la consommation, la politique, la pratique associative, etc.), mais elles se concentrent essentiellement dans une sphère qui en conditionne beaucoup d’autres : l’emploi.
3. D’où viennent les inégalités face à l’emploi entre les femmes et les hommes ?
On représente généralement le modèle traditionnel de la société occidentale comme marqué par une nette division sexuelle des activités sociales : d’un côté, la sphère privée (composée des activités familiales et domestiques) est réservée aux femmes ; de l’autre, les hommes se spécialisent dans les activités extérieures au foyer (travail, politique, guerre). Cette vision, même si elle est exagérée (les femmes des milieux populaires travaillaient comme les hommes), reflète une certaine réalité qui s’est atténuée dans la deuxième moitié du XXe siècle. La croissance des Trente Glorieuses, la tertiarisation de l’économie et la hausse du niveau de diplôme des femmes leur ont permis d’investir massivement le monde du travail. Aujourd’hui, les taux d’activité des deux sexes se sont considérablement rapprochés (66,3% des femmes de 15 à 64 ans, contre 75,2% des hommes de 15 à 64 ans, en 2010).
Toutefois, des inégalités importantes subsistent dans l’accès aux différents types de métiers (Activité 3 – doc 2a). Il subsiste des professions presque exclusivement féminines (secrétaires) ou masculines (ouvriers). De même, si les femmes ont réussi à s’imposer dans la catégorie des cadres (40 % des cadres sont des femmes en France en 2009), elles peinent encore à atteindre les positions dirigeantes (Activité 3 – doc 2b). En conséquence, elles perçoivent en moyenne des rémunérations plus faibles que les hommes (Activité 3 – doc 3).
Plusieurs raisons concourent à expliquer ce phénomène de plafond de verre auquel se heurtent les femmes : persistance de comportements misogynes, recrutement des cadres à la sortie de grandes écoles aux concours desquelles peu de filles se présentent, manque de confiance en elles et ambitions personnelles limitées, etc. Mais ces inégalités d’emploi doivent beaucoup à l’inégale répartition des activités domestiques. En effet, si la division sociale a été remise en question par la progression du taux d’activité des femmes, le mouvement de balancier ne s’est fait que dans un seul sens : les femmes continuent de consacrer 1,7 fois plus de temps par jour aux tâches ménagères que les hommes. Tiraillée entre une aspiration à l’emploi et les tâches ménagères qui leur sont toujours assignées, elles optent souvent pour des emplois à temps partiel, leur permettant de combiner activités professionnelles et domestiques, mais qui ralentissent leur carrière. D’ailleurs, victimes de cette image, c’est d’abord à elles que l’on propose des emplois à temps partiel (en 2009, 71,5% des personnes en sous-emploi sont des femmes).
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